Je regarde le ciel étoilé défiler à travers la vitre arrière de la voiture, la tête renversée sur le siège. J’ai 10 ans peut-être, nous roulons entre les deux checkpoints de Masnaa au Liban et Jdeidat Yabous en Syrie, un no man’s land de 8km de long.
Dans le pli de la montagne, j’ai conscience de traverser une frontière pour la première fois, une nuit d’été, dans des territoires inconnus. L’air frais qui entre par la fenêtre, nous roulons seuls, les discussions en arabe au poste, et la route qui file jusque chez mon grand-père dans la Bekaa.
Plus grand, je traverse les lignes qui ont délimité mon enfance. Je pars plusieurs mois, sur plusieurs années. Venir et revenir. J’arpente le Kurdistan turc, les rives de la Mer Noire et du Bosphore, les chemins vers Deir ez-Zor et l’Euphrate, les bordures avec l’Iran jusqu’au golfe persique. Je regarde éveillé les paysages qui défilent par les fenêtres des bus, les villes, les autres vies. Les temps à attendre.
Les espaces ici sont temporaires, fragmentés par les identités, les conflits et les départs. ils disparaissent d’une année à l’autre. Je ne capture que des traces, que quelques grains qui percent ma peau. Ils me font devenir étranger.
Je suis encore dans cette voiture, le long des traits, à travers les traits. Les cartes. Je connais maintenant une partie des voies de passage et des connections, le goût et la sensation des mers quand j’y plonge ma main, le vide du départ et celui de l’arrivée, les montagnes quand je ferme les yeux.