Tu es immergé dans un monde que tu penses comprendre, que tu penses avoir déjà vu. Nous vivons à côté. Les ports, les fuites, les migrants. Tu penses que tu traverses mais ce sont eux qui traversent.
L’écume mousseuse et les falaises du nouveau continent, les agaves géantes et les icônes. Tu te dis que l’exploration n’a pas encore eu lieu, que les cartes ne sont pas les cartes, celles qui disent les sols et les matières qui se superposent et s’entremêlent, dans un flux et reflux millénaire, solaire et minéral. Tu te dis que nous devrions tous explorer à nouveau, que nous ne devrions faire que cela. Sentir les odeurs végétales, marines et animales. Ne plus conquérir, chercher la fragilité, la lenteur et se dissoudre à nouveau.
Le sel séché sur ton corps, sur ta langue. C’est ce goût qui t’habite et te relie, celui des minéraux et des vivants décomposés et charriés jusqu’à l’océan.
Retrouver les tiens, rester ensemble, rester à la marge, effacer nos traces.
Ta peau est chaude. Tu as les chevilles écorchées par les broussailles sur les sentiers. La nuit, tu t’enfonces avec ton appareil photographique mais le noir te fait peur. Tu aimerais t’enfoncer encore plus loin, t’enfoncer jusqu’aux bras dans la fibre humide et fraîche des arbres entrouverts, t’enfoncer jusqu’à te perdre, jusqu’à ce que la matière de ton corps devienne celle du vivant, mais tu n’oses pas. Tu n’oses pas. Tu reste figé par les bruits et les visages de la flore révélés par ton flash, par la profondeur infinie du noir devant toi.