Patte d’oie

Le bruit des réacteurs dans l’avion. Je ne sais plus pourquoi je pars. L’Afrique du Nord qui défile peu à peu sous moi par le hublot, la couleur terre des sols.
L’entrelac des routes et du sable. La banlieue, proche de l’aéroport. Il est vieux, un boubou jaune et une coiffe africaine, je lui demande si je peux m’assoir à côté de lui, si le car rapide va bien à la Patte d’Oie. L’argent file de main jusqu’au chauffeur.
Je pars travailler au port de Dakar, je regarde les chargements et les déchargements des cargos sur les quais. A cause de la guerre civile à Abidjan les docks sont engorgés. Le père de la famille chez qui je loge est guinéen, sa mère de Sierra Leone. Il a étudié le droit en France en 1956 avant de venir ici, avant l’indépendance. Il cite Senghor, le peuple bruyant. Il me demande pourquoi je ne prends pas mon petit déjeuner avec eux.
Mara est parti mangé du Thief au marché Kermel, il laisse son étal sans surveillance, proche de l’entrée du port. Son bras est maigre et fin. Sa main est presque osseuse et sa peau écaille brille au soleil. Quelques minutes plus tôt, il tient le thé fixement avec 3 doigts et le sert avec élégance. Les ouvriers défilent dehors. Je suis assis au bout du môle sous le soleil. Je regarde les infrastructures, les grues, le cargo asiatique qui arrive. Je suis pris par un sentiment de légèreté qui fait écho au cisaillement du vide tout à l’heure. Envie de marcher jusqu’au bout du quai en longeant le navire rouge et noir et ses plaques d’usure, les dockers que je croise ne me remarquent pas, je continue d’avancer.
A la maison, Sally et Fatou. Elisa. Elle a porté un enfant pour sa sœur. Sa fille a 4 ans et part pour la France dans un mois. Nous parlons et parfois passons de longs moments sans rien dire. Semba, aux douanes du port, me dit que les fêtes traditionnelles se perdent, que les gens vivent dans le monde moderne. Que les lampadaires, les bruits et la pollution font fuir les esprits.
La Patte d’oie est un programme de logements financé par les américains sorti de terre dans les années 60. L’enchevêtrement des villas aux noms d’oiseaux dans les dunes. Ce matin je me lève avec les moustiques, il fait nuit dehors, je m’habille à la lumière des lampadaires dans la rue. J’ai éteint le ventilateur, la maison est encore endormie. Le calme avant l’aube et les chants du muezzin. J’entends le flot des voitures sur l’autoroute, je prends le chemin entre les maisons et j’attends à l’arrêt de bus le car du personnel. Des femmes en boubou attendent à côté de moi, silencieuses. Les poteaux électriques, le ciel gris, le sable et les lumières jaunes des lampadaires toujours allumées. A l’entrée du port je prends un café crème avec un pain beurre comme tous les matins, dans la cabane en tôle bleue et rouillée. Le poste de radio en fond. La mer est anthracite, les feux de signalisation sont allumés, je longe les containers, j’aimerais prendre un bateau et partir sans savoir où.
J’aimerais te retrouver, poser ma main entre ton cou et ton épaule et te regarder longuement. Tu me dis que je ressemble à un Indien avec ma peau bronzée. J’essaie d’écouter les bruits du dehors pour libérer mon esprit.
Sons et odeurs de pluie. L’odeur du béton mouillé et le vent frais qui entre et claque dans mon t-shirt, mon corps qui se mélange avec le sol et l’air. Sur le toit, j’écoute le dehors et je regarde l’enfilade des terrasses et l’horizon. Je ferme les yeux et j’imagine la route dans la brousse qui file jusqu’au Mali, j’imagine tout le tour de la Méditerranée qu’il faudrait faire pour revenir à Paris. Je repense aux barres d’immeubles. Le son en bas est amplifié par le patio. Le bruit des gouttes d’eau sur les plantes se détache du souffle du réchaud dans la cuisine à côté. Les insectes immobiles patientent sous les feuilles ruisselantes des plantes.
Le soir, le ciel prend des teintes de rose, l’air est frais et les teintes s’adoucissent jusqu’à la terre. La palmeraie disparaît dans la brume d’après la pluie. Les bâtiments en construction. Demain, les bureaux, les flux de marchandises et l’océan.






















