Patte d’oie

Patte d’oie

Dans l’avion, je ne perçois pas la limite de ma dérive. Je ne sais plus pourquoi je pars. Le bruit des réacteurs, la couleur de la terre, le nord de l’Afrique qui défile peu à peu sous moi.

Il est vieux, un boubou jaune et une coiffe africaine. Je lui demande si je peux m’assoir à côté de lui. Il me confirme que le car rapide va bien à la Patte d’oie. Le passager devant moi tend sa main et me demande 100 francs CFA, je lui donne sans comprendre et regarde les billets affluer de main en main jusqu’au chauffeur.

Je pars travailler au port de Dakar tous les matins. Je regarde les chargements et les déchargements des cargos. Avec la guerre civile à Abidjan les bateaux sont redirigés ici, les docks sont engorgés. Je loge chez une famille de classe moyenne. Le père est guinéen, sa mère est de Sierra Leone. Il a étudie le droit à Toulouse en 1956 avant de revenir en Afrique et d’émigrer ici. Il parle de politique, de Senghor.  « On ne peut diriger un peuple bruyant qu’en le laissant parler ». Il me demande pourquoi je ne prends pas mon petit déjeuner avec eux.

Ce matin vers 9h la pluie s’est mise à tomber. Fine d’abord, puis une demi heure après en trombes, pour s’arrêter presque brusquement. Je suis sur la terrasse, j’écoute la pluie, je regarde Dakar. Sur une terrasse en face une femme reste sous la pluie debout, sans bouger. Elle attend, se laisse mouiller. Le vent est frais, les teintes s’adoucissent jusqu’à la terre. La palmeraie disparait dans la brume de la pluie. Je me suis assoupi au café internet en attendant les autres. Je me réveille avec l’envie d’être traverser, par le voyage, par les gens.

Son bras est maigre et fin. Sa main est presque osseuse et l’écail de sa peau brille au soleil. Il tient le thé fixement avec 3 doigts et le sert avec élégance. Les gens défilent dehors. Mara est parti mangé du Thief au marché Kermel, il laisse son étal sans surveillance. Je suis assis au bout du mole 1 sous le soleil. Je regarde le cargo asiatique entrer au port. Je suis pris par un sentiment de légèreté qui fait échos au cisaillement du vide tout à l’heure. Envie de marcher jusqu’au bout du quai en longeant le navire rouge et noir et ses plaques de rouille, je croise les dockers qui ne me remarquent pas, ils s’en fichent, je continue d’avancer. J’aimerais te retrouver, poser ma main entre ton coup et ton épaule et te regarder longuement. Elle me dit que je ressemble à un Indien avec ma peau bronzée. J’essaie d’écouter les bruits du dehors pour libérer mon esprit. Sons et odeurs de pluie encore. Mon corps se mêle entre le sol et l’air. L’odeur du béton mouillé monte, je sens le vent frais rentrer dans t-shirt qui claque. J’écoute le dehors. Dans le patio le son est plus fort. Le bruit des goutes d’eau sur les plantes se mélange au son du réchaud dans la cuisine à côté. Les insectes immobiles patientent sous les feuilles ruisselantes des plantes.

Sally et Fatou. Elisa. Elle a été mère porteuse pour sa soeur. Sa fille a 4 ans et part pour la France dans un mois. Nous parlons et parfois passons de longs moments sans rien dire. Semba, aux douanes du port, me di que les fêtes traditionnelles se perdent, que le gens vivent dans le monde moderne. Que les lampadaires, les bruits et la pollution font fuir les esprits.

La Patte d’oie est sortie de terre dans les années 60. Programme de logements sociaux financés par les américains au moment de l’indépendance. Le quartier est en fait une ville cité, un enchevêtrement de villas aux noms d’oiseaux, dont la forme ressemble à une patte d’oie. Ce matin je me lève avec les moustiques, il fait nuit dehors, je m’habille à la lumière des lampadaires dans la rue. J’ai éteint le ventilateur, j’entends le calme du matin avant l’aube et les chants du muezzin. La maison est encore endormie. Le flot des voitures sur l’autoroute, je prends le chemin entre les maisons et j’attends à l’arrêt de bus le car du personnel. Des femmes en boubou attendent à côté de moi, silencieuses elles aussi. Les poteaux électriques, le ciel gris, le sable et les lumières jaunes des lampadaires toujours allumées. A l’entrée du port je prends un café crème avec un pain beurre comme tous les matins, dans la cabane en taule, bleue et rouillée. Le poste de radio en fond. La mer est anthracite, les feux de signalisation sont allumés, je longe les containers, j’aimerais prendre un bateau et partir sans savoir où.

Je suis le toit de la maison, je regarde l’enfilage des terrasses et l’horizon. Je prends conscience d’être en Afrique et pas ailleurs. Je ferme les yeux et j’imagine la route dans la brousse qui file jusqu’au Mali, j’imagine tout le tour de la Méditerranée qu’il faudrait faire pour revenir en Europe. J’ouvre les yeux et j’écoute le bruit des gens chez eux, l’autoroute et une cigale. Le ciel prend des teintes de rose, il est bientôt l’heure de redescendre et d’aller diner .