Patte d’oie

Patte d’oie

Le bruit des réacteurs dans l’avion. L’Afrique du Nord qui défile peu à peu sous moi par le hublot. Je ne sais plus pourquoi je pars. La couleur ocre des sols.

Le long de la banlieue proche de l’aéroport, les routes s’entrelacent avec le sable. Il est vieux, un boubou jaune et une coiffe africaine, je lui demande si je peux m’assoir à côté de lui, si le car rapide va bien à la Patte d’Oie. L’argent file de main jusqu’au chauffeur.

Je pars travailler au port de Dakar, je regarde les chargements et les déchargements des cargos sur les quais. A cause de la guerre civile à Abidjan les docks sont engorgés. Le père de la famille chez qui je loge est guinéen, sa mère de Sierra Leone. Il a étudié le droit en France dans les années 50 avant de venir ici, avant l’indépendance. Il cite Senghor, “le peuple bruyant”. Il me demande pourquoi je ne prends pas mon petit déjeuner avec eux.

Mara est parti mangé du Thief au marché Kermel, il laisse son étal sans surveillance, proche de l’entrée du port. Son bras est maigre et fin. Sa main est presque osseuse et sa peau écaille brille au soleil. Quelques minutes plus tôt, il tient le thé fixement avec 3 doigts et le sert avec élégance. Je suis assis au bout du môle sous le soleil, les ouvriers défilent dehors. Je regarde les infrastructures, les grues portuaires, le cargo chinois qui arrive. La cisaille du vide qui me serre depuis tout à l’heure se relâche peu à peu. J’ai envie de marcher jusqu’au bout du quai en longeant le navire rouge et noir et ses plaques d’usure, les dockers que je croise ne me remarquent pas, je continue d’avancer. 

A la maison, Sally et Fatou. Elisa. Elisa a porté une fille pour sa sœur. Elle a maintenant 4 ans et part pour la France dans un mois. Nous parlons et parfois passons de longs moments sans rien dire. Semba, aux douanes, me dit que les fêtes traditionnelles se perdent, que les gens vivent dans le monde moderne, que les lampadaires, les bruits et la pollution font fuir les esprits.

Ce matin je me lève avec les moustiques, il fait nuit dehors, je m’habille à la lumière des lampadaires dans la rue. J’éteins le ventilateur. Le calme avant l’aube et les chants du muezzin. La Patte d’oie est un enchevêtrement de villas aux noms d’oiseaux dans les dunes, construit dans les années 60 par les américains.

J’entends le flot des voitures sur l’autoroute, je prends le chemin entre les maisons et j’attends à l’arrêt de bus le car du personnel. Des femmes en boubou attendent à côté de moi, silencieuses. je regarde les poteaux électriques, le ciel gris, le sable et les lumières jaunes des lampadaires toujours allumées. A l’entrée du port, je prends un café crème avec un pain beurre comme tous les matins, dans la cabane en tôle bleue et rouillée, la radio en fond sonore. Je longe les containers. La mer est anthracite, les feux de signalisation sont allumés. J’aimerais prendre un bateau et partir sans savoir où. J’aimerais te retrouver, poser ma main entre ton cou et ton épaule et te regarder longuement. Tu me dis que je ressemble à un Indien avec ma peau bronzée.

Sons et odeurs de pluie, celle du béton mouillé. Le vent frais qui entre et claque dans mon t-shirt et mon corps qui se mélange avec le sol et l’air. Sur le toit, j’écoute le dehors et je regarde l’enfilade des terrasses jusque l’horizon. Je ferme les yeux et j’imagine la route dans la brousse qui file jusqu’au Mali, et puis j’imagine tout le tour de la Méditerranée qu’il faudrait faire pour revenir à Paris. Je repense aux barres d’immeubles et aux trains de banlieues. J’essaie d’écouter les bruits du dehors pour libérer mon esprit. Le son du patio, en bas. Le bruit des gouttes d’eau sur les plantes se détache du souffle du réchaud dans la cuisine à côté. Les insectes immobiles patientent sous les feuilles ruisselantes des plantes.

Le soir, le ciel prend des teintes de rose, l’air est frais et les teintes s’adoucissent jusqu’à la terre. La palmeraie disparaît dans la brume d’après la pluie. Les bâtiments en construction. Demain, les bureaux, les flux de marchandises et l’océan.