Brèches
خروقات

Pendant des mois tu perds les mots, tu n’as plus de sensations, tu es arraché de la chaleur de Beyrouth, de la mer et de la moiteur de l’air. Tu pourrais y flotter indéfiniment.
Tu repenses aux sacs de sable le long des rues pendant la guerre, la bifurcation du rond point de Tayouneh. La baignoire dans la salle de bain bleue qui servait de réserve d’eau. Tu reviens pour sentir le souffle de la ville sur ton visage, t’enfoncer dans le vide. Tu veux ressentir le vide t’emplir. Tu attends de retrouver les coupures d’électricité de ton enfance l’été. Le balcon. Les incendies.
Tu regardes la ville, marcher entre les immeubles en marge, trouver les autres brèches, voir si tu peux toucher la lumière avec ton doigt le long des brèches, si elles relient encore les choses. Comment dire les choses ? Comment dire la vie qui reste ? Celle qui part ?
Tu sens la matière végétale de la montagne qui se décompose sous le soleil et tu restes happé par la nuit dans le jardin. Tu ne peux te détacher de la beauté sauvage des figuiers de barbaries et des jujubiers.
L’effondrement dehors, l’effondrement dedans.
Le cri des chacals.
Tu cherches à savoir si le vivant est toujours vivant, si tu peux être vivant. Tu aimerais le savoir mais tu ne peux pas le savoir. Tu ne peux plus rien savoir. Tu peux juste essayer de rester immergé, de sentir ton corps collé aux routes, aux broussailles et à la chaleur.
































