La grenade, par la fenêtre

Par la fenêtre, la grenade

القنبلة

 

Aïn El Remmaneh. Beyrouth.
08.1982

J’imagine les jardins d’orangers et de grenadiers à travers les souvenirs de mon père enfant, en regardant par le balcon de la cuisine.

Aïn El Remmaneh, « la source de la grenade ». C’est toujours là que nous débarquons le premier soir avec les valises. Là que se trouve la grande table de ma grand-mère, les pommes de terre à l’huile d’olive et les haricots plats en sauce. Les grands repas du samedi, les canapés aux odeurs de naphtaline et la chambre débordante de journaux. Nous passons les étés dans la chaleur humide de la ville, les lits au sol, l’eau de la source du village dans les bidons, l’électricité intermittente, les bagages et le décompte des jours jusque septembre.

Nous limitons pendant des années nos trajets à la route de l’aéroport, et les deux appartements de famille entre ici et Chtaura.

La guerre finie nous traversons le centre de ville de Beyrouth détruit. Les rues désertes et les immeubles criblés et à moitié effondrés, parsemés de végétation. Nous pénétrons par les failles des décombres. « Faites attention aux mines quand vous marchez ! ». Mais comment peut-on faire attention aux mines quand on marche ?

Je retrouve les photographies de mon père, cet après-midi-là. Premiers territoires perdus.

Photographier la guerre du Liban de 1975 à travers les journaux télévisés, enregistrés sur VHS par mes parents pendant les 15 ans de conflit.

Dans les années 80, à Beyrouth, la correspondance de mes oncles et tantes avec ma mère en France, parfois sous les bombes.

Les images de cette époque.

La guerre, sans la guerre. Juste nous avec elle.

1975-1991